Les tourbières hautes actives
Depuis le podium de Botrange ou, mieux encore, depuis la piste du Noir Flohay, l’attention de l’observateur dont, pour la première fois, le regard embrasse la fagne wallonne, cette attention est attirée par une vaste étendue sombre, presque noire, presque uniforme aussi, en l’absence d’arbre pour la ponctuer, étalée au cœur des vastes étendues d’herbes jaunes qui ondulent « soyeusement » au gré de la brise.
A sa question, les gens du pays répondent, avec parfois une miette de condescendance mais toujours avec un brin d’orgueil dans la voix: c’est la tourbière !
Pourquoi cette fierté ? Pourquoi cette teinte sombre ? Pourquoi cette absence d’arbres ? Pourquoi là et pas ailleurs ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Parce que…
Les tourbières hautes sont rares en Wallonie, très rares ; elles sont une perle dans les hautes fagnes, ou plutôt quelques perles, éparses, fragiles, à l’éclat hélas un peu terni mais ô combien précieuses encore.
Les tourbières hautes actives
Les tourbières hautes actives ne représentent qu’une infime partie du territoire : moins de 0,1%.
Rares en Wallonie elles ne sont guère fréquentes en Europe et sont, de ce fait, un habitat Natura 2000 prioritaire.
L’habitat « tourbière haute active » se développe sur une épaisse couche de tourbe (plus de 125cm), résultat de l’accumulation de matière organique, d’origine végétale, peu ou pas décomposée.
Cette accumulation a lieu par manque d’agents décomposeurs, dans un milieu acide et surtout gorgé d’eau stagnante ou du moins peu mobile. Cette saturation en eau est en effet primordiale pour le développement des sphaignes turfigènes mais aussi pour limiter la présence des décomposeurs : il faut donc que les apports en eau soient égaux ou supérieurs aux pertes.
Ces conditions sont réunies sur le Haut Plateau, barrière aux vents du sud-ouest, au climat plus froid, plus humide. Plus de précipitations, moins d’évapotranspiration et… la tourbe a pu s’accumuler durant des milliers d’années jusqu’à former ces tourbières bombées, avec une nappe perchée alimentée uniquement par l’eau de pluie.
Quelques plantes indicatrices: un équilibre particulier
La végétation des tourbières hautes est pauvre en espèces mais d’une très grande richesse patrimoniale. La principale famille est représentée par les sphaignes. Ces « mousses des tourbières » s’approprient l’eau et les maigres éléments nutritifs ; mieux, elles retiennent l’eau dans de grandes cellules creuses et, par ailleurs, acidifient leur milieu, rendant l’environnement peu favorable aux autres plantes.
La deuxième famille est représentée par les éricacées, avec la bruyère quaternée, Erica tetralix, mais surtout l’andromède, Andromeda polifolia et la canneberge, Vaccinium oxycoccos, deux espèces représentatives de cet habitat.
Ces plantes présentent de nombreux points communs, des adaptations au milieu particulier « tourbière » : les feuilles sont étroites, aux bords enroulés, limitant ainsi les pertes d’eau par évapotranspiration ; ces éricacées vivent en symbiose avec un champignon, la présence d’endomycorhizes, favorisant l’absorption de l’eau et des éléments nutritifs ; de taille très réduite, ces sous-arbrisseaux se développant dans ce milieu pauvre en nutriments ont une croissance extrêmement lente.
Une dernière éricacée, plus cosmopolite, la callune donne, avec la bruyère, cette teinte sombre à la tourbière haute où, lorsqu’elle est intacte, aucun arbre ne pousse. Enfin, parmi les plantes indicatrices de l’habitat, notons encore la linaigrette vaginée et le polytric dressé.
Mesures favorables aux tourbières hautes
Des 2000 hectares que couvraient les tourbières hautes au 15ème siècle, 90% ont disparu et les 10% restants restent menacés ; l’impact des dégradations dans leur périphérie continue à agir de manière négative ; l’étonnant équilibre de ce milieu étant rompu.
Protéger les tourbières en évitant dorénavant les drainages, l’exploitation de la tourbe, ou le piétinement ne suffira pas à les sauvegarder, raison pour laquelle des actions de restauration sont en cours depuis des années dans la Réserve naturelle des Hautes Fagnes (A lire : Ph. Frankard - Bilan de 12 années de gestion conservatoire des tourbières hautes dans la réserve naturelle domaniale des Hautes Fagnes - CRNFB).
Où voir les tourbières hautes ?
Très sensibles aux perturbations, les tourbières hautes se situent dans les zones les plus protégées de la Réserve naturelle.
Néanmoins, la tourbière haute de la fagne wallonne est visible depuis le podium de Botrange mais c’est peut-être depuis Noir Flohay que l’on peut le mieux observer la forme bombée de la tourbière ; de là, on distingue le fait que cette tourbière a pris place entre deux sommets, dans un col aux pentes faibles : c’est une tourbière de col ou d’ensellement. Cette vue permet aussi de percevoir que si l’eau ruisselle le long des pentes pour alimenter la couche inférieure de la tourbière, le haut du bombement de celle-ci n’est, lui, alimenté que par l’eau de pluie.
Enfin, dans plusieurs endroits du Haut Plateau, le promeneur peut admirer facilement, depuis le chemin, en se penchant juste un peu, les plantes typiques de la tourbières hautes : à la croix du Prieur, par exemple, ou à Malchamps sur les buttes de sphaignes des lithalses.
Les « Amis de la Fagne » et les tourbières hautes.
Parmi les tourbières hautes du Haut Plateau, celle de Clefaye doit sans doute sa survie à l’action des « Amis de la Fagne » qui, en 1961, concluaient un accord avec les différentes communes afin de protéger cette fagne et sa tourbière.
En accord avec le DNF gestionnaire de la Réserve naturelle, l’équipe des travaux des « Amis de la Fagne » réalise régulièrement des travaux de gestion en éliminant les ligneux menaçant les tourbières hautes.
Texte et photos : Annick Pironet
Bibliographie
Ph. Frankard - Bilan de 12 années de gestion conservatoire des tourbières hautes dans la réserve naturelle domaniale des Hautes Fagnes - CRNFB
O. Manneville, V. Vergne, O. Villepoux - Le monde des tourbières et des marais – Delachaux et Niestlé – 1999
J.Lambinon, L. Delvosalle, J. Duvigneaud – Nouvelle Flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines – Cinquième édition – Edition du Jardin botanique national de Belgique – 2004
J-C. Rameau, C. Gauberville, N. Drapier – Gestion forestière et diversité biologique – Wallonie - Grand-Duché de Luxembourg - 2000
R. Collard, V. Bronowski - Le guide du Plateau des Hautes Fagnes– L’Octogone – 1993
Sites Internet consultés
http://biodiversite.wallonie.be/cgi/waleunisform.pl?CODEEUNIS=D1.11 - novembre 2008
http://www.pole-tourbieres.org/documentation.htm - novembre 2008
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LA DÉFENSE ET L’ILLUSTRATION DU HAUT-PLATEAU FAGNARD
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