Les captures de cours d’eau dans les Hautes Fagnes

Généralités

par Etienne Juvigné

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La Hoëgne              La Rustave              Le Tro Maret              La Warche


1. Généralités

Lorsqu’un cours d’eau se déverse dans un autre ailleurs qu’à sa confluence, la partie aval de son lit s’en trouve asséchée. Ce processus de détournement naturel d’une partie d’un cours d’eau est appelé ‘capture’ en géomorphologie.

N.B. Il n’est pas inutile d’insister sur le fait que c’est la dénivelée entre les deux cours d’eau, et non leur taille, qui détermine le sens de la capture. Un ruisseau peut donc capturer un fleuve.

1.1. Cas classiques de captures

1.1.1. Par érosion
Le plus souvent, la capture se produit : a) par érosion régressive d’un cours d’eau plus ou moins perpendiculaire au futur capturé (fig. 1); b) par érosion latérale d’un méandre encaissé (fig. 2).


Figure 1. Capture par érosion régressive : A, quelques milliers d'années avant la capture; B, au moment de la capture; C, quelques milliers d'années après la capture.



Figure 2. Capture par érosion latérale : A, peu avant la capture ; B, au moment de la capture ; C, quelques milliers d'années après la capture.


1.1.2. Par accumulation de sédiments
Lorsqu’une accumulation exceptionnelle de sédiments a lieu dans un fond vallée, le niveau du cours d’eau s’élève, et lorsqu’il atteint le niveau d’un col latéral, il bascule dans la vallée adjacente. Cet accroissement de la sédimentation peut être la conséquence, par exemple : a) d’un apport latéral de versant (ex. glissement de terrain) ou d’un affluent qui construit un cône de déjections qui fait barrage et retient un lac ; b) d’un mouvement du sol qui diminue la pente longitudinale du cours d’eau et provoque ainsi une sédimentation accrue. On parle alors de capture par déversement.

1.1.3. Par infiltration de l’eau dans le sous-sol
Dans les régions de roches calcaires, un cours d’eau peut s’infiltrer dans des conduits souterrains (fissures, grottes,…), et être dirigé vers une résurgence située dans une autre vallée. On parle alors de capture karstique.

1.2. Critères d’identification d’une capture

1.2.1. Dans la vallée du cours d’eau capturé
C’est à l’aval du point de capture de cette vallée que les traits significatifs sont le plus aisément identifiables.

+ Le cours d’eau est devenu insignifiant par rapport à la taille de la vallée creusée par son prédécesseur.
+ Chacun de ses affluents développe un cône de déjection à son débouché dans la vallée abandonnée puisque ses apports ne sont plus évacués.
+ Un profil transversal avec contacts anguleux entre versants et plaine alluviale devient de plus en plus concave, car les dépôts de pied de versant ne sont plus évacués.
+ La nature des galets et minéraux des alluvions est identique à celle de l’amont du point de capture.

-.A l’amont du point de capture. Au moment de la capture, l’eau se déverse du capturé dans le capturant de façon torrentielle en raison de la dénivelée abrupte. L’érosion s’en trouve accrue sur cette chute, et la rivière s’y encaisse en développant un profil en V. En conséquence, l’abrupt se transforme en pente de moins en moins forte au fur et à mesure de la migration vers l’amont de la reprise d’érosion (érosion régressive) ; cette forme de profil longitudinal s’appelle ‘knick’.

1.2.2. Dans la vallée du cours d’eau capturant
Les traits morpho-sédimentaires significatifs sont limités à l’aval du point de capture et souvent moins évidents que dans la vallée du capturé.

+ Un cône de déjections se développe à l’aval immédiat de la section torrentielle puisque en débouchant dans la vallée du capturant la pente –et donc la vitesse- du capturé diminue si bien que celui-ci y dépose les éléments qu’il ne peut plus transporter. Toutefois, avec le temps, l’érosion latérale du capturant à cet endroit peut faire disparaître ce cône de déjections.
+ Le capturant voit son débit augmenter, et conséquemment sa dynamique fluviale accrue.
+ S’il y a des galets et minéraux originaux dans les alluvions du capturé, ces éléments vont apparaître dans les alluvions du capturant.

2. Formation du réseau hydrographique de l’Ardenne

Remarque préliminaire. Nous nous limitons ici à traiter les cas de captures évoquées à tort ou à raison sur le pourtour du plateau des Hautes Fagnes, soit entre l’Amblève, la Vesdre et la Rur.
Les lecteurs intéressés par l’évolution générale du réseau hydrographique de la Belgique sont invités à consulter l’article suivant :
Grimbérieux J., Laurant A. & Ozer P., 1995. Les rivières s’installent. In L’Ardenne, essai de géographie physique, Hommage au Professeur Albert Pissart, Demoulin A., éditeur, 238 pages.
Il est disponible notamment à la bibliothèque de géologie de l’ULg (UDST).

2.1. Généralités

Dans le cadre de la tectonique des plaques depuis 550 Ma (Millions d’années), l’Ardenne s’est déplacée suivant un mouvement ondulatoire des hautes latitudes sud jusqu’à sa position actuelle (50°N). Elle s’est ainsi trouvée alternativement dans la mer lors de périodes d’affaissement, et en position continentale lors de périodes de soulèvement. Chaque fois que l’Ardenne a émergé, un réseau hydrographique s’y est installé. Ce fut le cas : a) dès le plissement calédonien (460-443 Ma) et jusqu’au Dévonien inférieur (416 Ma) ; b) dès le plissement hercynien (300 Ma) jusqu’au début du Crétacé (145 Ma) ; c) pendant l’Eocène (65 Ma à 35 Ma) ; d) depuis le début du Miocène (23 Ma).

A la fin des deux dernières transgressions (Crétacé et Oligocène), seul le flanc NO de l’Ardenne a été immergé jusqu’à la crête des Hautes Fagnes. Ceci implique que l’Ardenne méridionale était alors plus élevée que la partie septentrionale. Dans les deux cas, des dépôts attestent des deux transgressions jusqu’à la Baraque Michel ; il s’agit essentiellement dans le premier cas (Crétacé) de craie à silex, et dans le second (Oligocène) de sable.

Il faut aussi savoir que : a) dans le cadre de la tectonique des plaques, l’Ardenne a traversé les régions intertropicales septentrionales pendant le Secondaire ; b) les climats de la terre ont été plus chauds qu’actuellement pendant le Tertiaire. Dans ces conditions, lors des deux dernières phases continentales (Eocène et Miocène-Pliocène), l’altération chimique des roches du socle ardennais a été particulièrement intense, ce qui a facilité l’action érosive des cours d’eau, et donc les possibilités de captures.

2.2. Au SE de la crête des Hautes Fagnes

Dès le pied de la retombée, il existe un ‘couloir orienté NE-SO dans lequel coulent la Helle supérieure, la Pôleur (=Hoëgne supérieure) et le Roannai (fig. 3). Les coudes que décrivent les deux premiers en quittant ce ‘couloir’ interpellent nécessairement dans le sens de la capture. Le coude ‘Ru de Pôleur ∟Hoëgne’ a fait l’objet d’une étude particulière (Demoulin, 1986a), tandis que celui de la Helle n’a jusqu’à présent retenu l’attention d’aucun scientifique. Par ailleurs, les cours supérieurs des deux affluents de l’Eau Rouge dans la région de Ster (ru de Rohon/Hodial et ru de Hockai) qui sortent perpendiculairement du même couloir, incitent à une réflexion identique.

Au sud de ce ‘couloir’, dans les bassins de l’Amblève supérieure et de la Warche, l’absence de traces de dépôts marins tant du Crétacé que de l’Oligocène (Demoulin, 1986b) permet d’accepter que le réseau hydrographique a dû évoluer depuis 300 Ma (émersion hercynienne) dans les roches dures du socle. De ce fait, le tracé des cours d’eau y est essentiellement tributaire des conditions lithologiques (différence de dureté des roches : quartzite, phyllade, grès, schiste) et structurales (plis et pendages des couches ainsi que failles et fractures diverses). Ceci expliquerait la diversité des grandes orientations du drainage pour la Rur vers le NE, la Warche supérieure vers l’O-NO et la Warche inférieure vers le SO.

2.3. Au NO de la crête des Hautes Fagnes

La couverture sableuse de quelques mètres d’épaisseur qui tapissait la pente préexistante de la retombée n’avait probablement pas estompé le relief antérieur. Que les cours d’eau aient repris place dans leurs vallées antérieures ou à coté sur la retombée ensablée, ils ont adopté le sens de la pente générale, soit vers le NO (fig. 3). Ce n’est qu’après s’être encaissés à travers le sable marin, voire des placages résiduels sous-jacents de craie à silex du Crétacé que les cours d’eau ont à nouveau atteint les roches du socle primaire, et que leur tracé est également redevenu dépendant de la variété de dureté des roches et des conditions structurales. Tous les tronçons supérieurs des cours d’eau actuels ont conservé l’orientation SE-NO, mais dès le pied de la retombée des Hautes Fagnes, une direction perpendiculaire apparaît, et elle se répète jusqu’à la Vesdre moyenne d’Eupen à Pepinster. Tous les coudes que font les cours d’eau aux ‘intersections’ interpellent également dans le sens de la capture, mais ils n’ont fait l’objet d’aucune étude particulière.



Figure 3. Les grandes orientations du réseau hydrographique de la haute Ardenne.

3. Les captures connues autour du plateau des Hautes Fagnes

Si les considérations qui précèdent permettent de soupçonner qu’un très grand nombre de captures aient eu lieu au cours des millions d’années de l’histoire continentale de l’Ardenne, seulement les plus récentes qui ont laissé des traces significatives et ont fait l’objet d’articles scientifiques, sont décrites ci-après.

Deux captures sont attestées par des preuves irréfutables, il s’agit de celle de la Warche (Pissart et Juvigné, 1982), suivie de celle du Trô Maret reconnue antérieurement (Pissart, 1953). Ces deux captures sont survenues dans le même bassin hydrographique, et elles sont dépendantes l’une de l’autre. Pour la bonne compréhension des mécanismes, le lecteur intéressé a intérêt à respecter l’ordre chronologique des événements lors de la consultation des fichiers du présent site.

La Hoëgne a aussi subi une capture à proximité de Sart-lez-Spa (Demoulin, 1986a). Par contre le passage ancien de la Warche dans la vallée du Rustave et sa capture à Pont-à-Warche dans diverses formules (Renier, 1901 ; Goossens, 1956 ; Ozer, 1967) est impossible.

Bibliographie

DEMOULIN A., 1986a. Un phénomène de capture dans les hautes Fagnes : la Hoëgne à Hockai. Bulletin de la Socité belge d’Etudes géographiques, 1986-1: 45-51.

DEMOULIN A., 1986b. Nouvelles observations sur les dépôts sablo-graveleux de Hockai et de Ster-Cronchamps (Hautes Fagnes, Belgique). Annales de la Société Géologique de Belgique, 109 : 481-487.

GRIMBERIEUX J., LAURANT A. & OZER P., 1995. Les rivières s’installent. In L’Ardenne, essai de géographie physique, Hommage au Professeur Albert Pissart, Demoulin A., éditeur, 238 pages.

JUVIGNÉ E. & DELVENNE Y., 2005a. La capture de la Warche entre Bévercé et Mont-Xhoffrai.Hautes Fagnes, 257 : 21-25.

JUVIGNÉ E. & DELVENNE Y., 2005b. La capture du Trô Maret. Hautes Fagnes, 2005-2, 258 : 25-29.

OZER A., 1967. Contribution à l'étude géo­morphologique des régions où affleure le poudingue de Malmedy. Mémoire de licence en sciences géographiques. Université de Liège, Département de géographie, inédit, 189p.

PISSART A., 1953. Un phénomène de cap­ture près de Mont-Xhoffraix. Annales de la Société géologique de Belgique, 76(B) : 129-133.

PISSART A. et JUVIGNÉ E., 1982. Un phénomène de capture près de Malmedy : la Warche s'écoulait autrefois par la vallée de l'Eau Rouge. Annales de la Société géolo­gique de Belgique, 105 : 73-86.

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