Les pierriers des Hautes Fagnes

Généralités

Par Etienne Juvigné

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Dans des vallées fagnardes, on observe d'importantes accumulations de blocs dont il n’est pas rare que leur volume individuel atteigne le mètre-cube. On les appelle communément pierriers ou coulées pierreuses. Toutefois, en principe, le terme pierrier désigne une accumulation de blocs qui émerge du sol. Par contre, l'expression coulée pierreuse désigne un processus dynamique qui est en réalité une coulée boueuse très riche en blocs, parmi lesquels plusieurs d’entre eux finissent par se retrouver en surface sous l’action de divers facteurs évoqués plus loin. Dans le texte qui suit nous respecterons cette nuance entre pierrier et coulée pierreuse.

La plupart des pierriers recensés par les Amis de la Fagne dans les Hautes Fagnes se trouvent dans divers sites : sur un versant, au pied d’un versant, dans des fonds de vallées où ils sont étirés parfois sur plusieurs centaines de mètres de longueur. En général, les blocs ne sont pas jointifs, si bien que les pierriers sont très souvent colonisés par de la végétation, et notamment par des plantes basses (herbacées, fougères, myrtilles,…) qui en été, dissimulent véritablement les pierriers.

Le problème est ici de comprendre comment ces blocs se sont accumulés en pierriers.

- Stamm (1912) puis Guillaume (1924) les considéraient comme des dépôts morainiques remaniés , mais on sait aujourd'hui que ni le plateau des Hautes Fagnes, ni les vallées périphériques n'ont porté de glacier, même au moment des paroxysmes glaciaires du Quaternaire.

- Renier (1934) les attribuait à l'action de l'homme qui aurait déplacé les pierres en bordure de parcelles agricoles.

Ces explications sont aujourd’hui obsolètes.

Fourmarier (1923, 1933, 1945) a le premier émis l’hypothèse que ces accumulations se sont faites sous des climats de type périglaciaire et invoque notamment l’action de la solifluxion. Au terme d’une étude sédimentologique de plusieurs pierriers des Hautes Fagnes, Pissart (1953) a conforté définitivement cette interprétation.

En ce qui concerne la nature des blocs, il s’agit presque uniquement de quartzites aisément reconnaissables par leurs filons de quartz blanc ; ils proviennent des roches marines du Cambrien (début du Primaire : 542 à 488 Ma = Millions d’années) dont les bancs de phyllade et de quartzite constituent l’essentiel des affleurements rocheux dans les Hautes Fagnes. Ces roches ont émergé à la fin de l’Ere primaire (il y a environ 300 Ma), puis par la dérive des continents, elles ont traversé les régions intertropicales (voir le chapitre géologie générale de ce site), où les têtes de bancs en affleurement ont subi une intense altération chimique sous les effets des climats chauds et humides et des racines de la végétation parfois luxuriante. Cette altération a affecté plus particulièrement le phyllade qui a été réduit en argile, tandis que le quartzite beaucoup plus dur résistait. Les traces de cette altération différentielle sont conservées sur les hauts plateaux qui sont restés à l’abri de l’érosion continentale, après avoir été recouverts par deux vagues de dépôts marins : a) de la craie à silex à la fin du Crétacé (65 Ma) ; b) du sable au cours de l’Oligocène (35 Ma).

Pendant le Quaternaire (2,6 Ma à aujourd’hui) nos régions ont été affectées par des climats périglaciaires pendant chaque glaciation de la planète (fig.1). Dans ces conditions, les roches du substratum proches de la surface ont subi un autre type d’altération principalement liée aux alternances ‘gel-dégel’ qui provoque l’accroissement du volume de l’eau lors de sa transformation en glace et vice versa. L’eau étant plus abondante dans les fissures du phyllade (plaques jointives) que dans le quartzite plus massif, a provoqué l’écartèlement des plaques, si bien que le débitage des têtes de bancs de phyllade a été accéléré par ce processus que nous appellerons ‘gélifraction’. Pendant les périodes interglaciaires, la forêt de feuillus couvrait nos régions et l’action physico-chimique des racines des plantes prenait (et prend de nos jours) une part importante dans l’altération des roches du substratum proche de la surface et notamment du phyllade. Pendant le Quaternaire, cet ensemble de processus a agi jusque dans les fonds de vallée au fil de leur approfondissement.




Figure 1. Les cycles ‘glaciaire-interglaciaire’ des 2 derniers millions d’années (d’après Imbrie et al., 1984). Il s’agit en réalité d’une courbe de variation du niveau des océans qui est le reflet des variations climatiques de la planète. Pour la compréhension de ce chapitre, on peut admettre que pour nos régions, les pics en rouge représentent des périodes de climat tempéré identique à l’actuel, et les creux en bleu des périodes de climat périglaciaire.

N.B. La période chaude que nous vivons actuellement à commencé il y a environ 11.600 ans ; elle s’appelle l’Holocène.
Dans le texte qui suit, pour le début de l’Holocène, nous parlerons également de réchauffement post glaciaire pour désigner ce changement climatique naturel.


Tous les types d’altération décrits ci-dessus expliquent la rareté de blocs de phyllade dans les pierriers.

Par ailleurs, pendant les périodes périglaciaires, le vent a apporté du loess (limon éolien) qui dans les mouvements de transport en masse sur les versants s’est mélangé : a) aux argiles et limons provenant de l’altération physico-chimique des roches cambriennes ; b) aux résidus de craie du Crétacé ; c) au sable oligocène. Ce mélange de matériau fin constitue la matrice,des dépôts caillouteux en général, et des pierriers en particulier. Elle a servi de fluide transporteur pour des éléments plus grossiers (cailloux, blocs). Si ce sol était figé par le gel en hiver, il était par contre très boueux au dégel, ce qui facilitait son déplacement sur les pentes.



Figure 2. Coupe dans des dépôts de transport en masse périglaciaire dans les berges du ruisseau qui draine les prairies de Vennhof. L’épaisseur visible du dépôt est d’environ 5 m. Un bloc allongé est encore en position verticale dans la matrice. Les autres blocs étaient également dans le dépôt, mais l’érosion du cours d’eau a évacué la fraction fine, et les blocs ont glissé au pied de la berge.



(*) L’expression ‘transport en masse’implique que lors du déplacement de la roche meuble, l’agent transporteur (voir plus loin) n’effectue par de tri granulométrique. Par contre, le ruissellement qui lui, n’emporte que les particules fines, et laisse les plus gros cailloux sur place, n’est donc pas un agent de transport en masse.

Il faut aussi insister sur le fait que pendant les glaciations, les Hautes Fagnes ont connu des périodes d’environnement quasiment désertique, et dans ces conditions, l’absence de végétation a aussi favorisé davantage les transports en masse de roches meubles.

Au cours de la seconde moitié du 20 e siècle, les connaissances des processus propres aux régions périglaciaires (au Canada, en Sibérie et en haute montagne) ont été considérablement développées. Une synthèse détaillée en la matière est disponible dans la littérature française (Pissart, 1987). Quelques processus fondamentaux en relation avec les pierriers sont résumés ci-dessous.

Des blocs épars aux accumulations

Mise en affleurement de blocs par soulèvement sous l’effet du gel

Sous l’action des cycles de ‘gel-dégel’ particulièrement actifs pendant les périodes périglaciaires (voir plus haut) des blocs qui étaient enfouis dans ou sous le sol argilo-limoneux des Hautes Fagnes ont pu monter jusqu’en surface par un processus bien connu, illustré à la figure 3.




Figure 3. Montée des blocs et cailloux à travers une couverture meuble sous l’effet des cycles de ‘gel-dégel’ (d’après Frankard et al., 1990 ; modifié). Dans cette figure, le mouvement est fortement accéléré de façon à faciliter la compréhension du processus. En réalité, l’amplitude annuelle du mouvement est de l’ordre du millimètre.

Lorsque le gel pénètre dans le sol, des lentilles de glace se forment, et le bloc se soude progressivement au sol gelé, tandis que sa partie inférieure reste enveloppée de sol non gelé. Lors de la transformation de l’eau en glace, le sol gonfle et se soulève. Dès que la force d’adhésion du bloc au sol gelé est suffisante pour supplanter son poids et son adhésion au sol non gelé, le bloc est soulevé légèrement, et un vide apparaît en dessous. Lors du dégel, le bloc se désolidarise du sol qui l’a soulevé, mais il ne peut redescendre, du moins entièrement, car entre temps le vide sous-jacent a été perturbé par des déplacements internes de particules du sol. Au fil des cycles ‘gel-dégel’ et des années passées en climat périglaciaire, des blocs montent ainsi dans la couverture meuble millimètre par millimètre, pour venir s’étaler en surface. Ceci explique que l’on trouve même sur les plateaux les plus élevés des blocs émergeant du sol alors que la roche mère est à plusieurs mètres de profondeur. Le même processus peut évidemment exercer son action sur les versants, mais ici il s’accompagne le plus souvent de déplacements longitudinaux commandés par les mouvements de transport en masse décrits ci-après.

Reptation lente du sol et des blocs (frost creep)

Aucun plateau n’étant parfaitement horizontal, sa couverture de roches meubles est soumise à un mouvement de reptation lente sous l’effet des alternances de gel-dégel ; on parle de frost creep’ (= reptation par le gel).
N.B. Dans le texte qui suit, nous emploierons l’expression anglaise qui est plus simple.

Lors du gel, le sol gonfle en raison de l’augmentation de volume de son eau lorsqu’elle se transforme en glace ; en conséquence, tous les éléments du sol gelé se soulèvent perpendiculairement à la surface. Lors du dégel, le sol se tasse et les blocs tendent à redescendre verticalement (frost creep théorique), mais la force de cohésion à l’amont et l’embâcle à l’aval freinent la progression théorique. Le frost creep réel est donc inférieur au frost creep théorique.

On peut déduire aisément de la figure 4 que :
-.plus la pente d’un versant est forte, plus rapide est le mouvement de frost creep, toutes autres conditions égales (déplacement d1 sur pente p1 > déplacement d2 sur pente p2 > déplacement nul d3 sur surface horizontale p3 ;
-.au bas du versant, la diminution de la pente entraîne le ralentissement du mouvement, voire l’arrêt des blocs et leur accumulation ;
-.le seul frost creep peut donc conduire des blocs jusqu’au pied d’un versant.


Figure 4. Description du processus de frost creep sous l’effet des alternances de gel-dégel.

Légende : 1, couverture meuble ; 2, les cercles représentent n’importe quel bloc présent dans la couverture meuble ; 3, substratum rocheux.


Le mouvement résultant du frost creep est en réalité imperceptible à l’échelle des décennies (quelques millimètres), mais en tenant compte de sa récurrence au fil des centaines de milliers d’années de climats périglaciaires que les Hautes Fagnes ont connus, on comprend aisément qu’il peut déplacer des blocs sur de longues distances. C’est un processus de transport en masse au cours duquel la matrice fine et les blocs contenus se déplacent ensemble. Le fauchage des bancs de roche en est une preuve incontestable (fig.5).

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Figure 5. A, des cylindres en béton ont été introduits verticalement dans le sol à l’endroit du ruban tendu. Après quelques années, on constate que les cylindres se sont déplacés d’autant plus qu’ils sont proches de la surface puisque le soulèvement du sol gelé diminue avec la profondeur. B, couches de roches meubles fauchées par le frost creep au Dachsbush (Eifel oriental).

La solifluxion

Lorsque le sol dégèle, l’eau de fonte ne sait pas y pénétrer puisque la partie plus profonde non encore dégelée est imperméable. De ce fait, la tranche supérieure du sol peut devenir suffisamment humide et instable pour se mouvoir sur un versant à des vitesses perceptibles à l’échelle de la saison d’été ; on parle alors de solifluxion (le sol flue). C’est également un processus de transport en masse.

La solifluxion procède en général par langues indépendantes qui, à des moments différents, descendent sur les versants (fig.6), débouchent dans les fonds de vallées où elles s’empilent les unes sur les autres.

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Figure 6. Langues de solifluxion dans l’Arctique canadien (photos A. Pissart). A. Langues de petite taille. B. Langues de plus grande taille. On remarquera que des cailloux et des blocs sont associés au déplacement des langues. Rappelons-nous ici que les Hautes Fagnes ont connu ce type d’environnement pendant les parties les plus froides de chaque glaciation de la planète (revoir la fig. 1).

Dans les Hautes Fagnes, il est très fréquent que des pierriers se trouvent sur des versants, et plus particulièrement sur leur partie inférieure. Ceci signifie que le réchauffement climatique post glaciaire et la recolonisation végétale associée ont interrompu les actions combinées du frost creep et de la solifluxion périglaciaire qui auraient pu les conduire jusque dans les fonds de vallées.

Les coulées boueuses

Lorsque des masses de roches meubles présentes sur des versants en pente forte deviennent suffisamment gorgées d’eau et visqueuses, un mouvement en masse peut se déclencher brutalement et donner lieu à un vaste glissement de terrain. Lorsque cette masse arrive dans le fond d’une vallée, elle peut s’enrichir de l’eau du cours d’eau existant, ce qui augmente sa fluidité, et de ce fait sa vitesse. Il en résulte un courant de plus en plus turbulent dans lequel les plus gros blocs se retrouvent généralement en surface. En effet, d'une part leur densité n’est pas beaucoup plus élevée que celle de la boue qui les porte, si bien que leur poids est presque équilibré par la poussée d'Archimède, et d'autre part lorsqu'ils heurtent le plancher de la coulée, ils acquièrent une énergie qui leur permet de rebondir et de remonter dans la masse de boue jusqu'à se manifester en surface. C’est également un processus de transport en masse.

Les matériaux des coulées boueuses successives finissent évidemment pas se stabiliser, et ainsi elles s’empilent également dans les fonds de vallée (fig.7). De plus, lorsqu’elles sont riches en blocs, elles présentent généralement un profil transversal convexe, car l'écoulement est plus rapide au centre que le long des versants. Il en résulte que lorsque l'écoulement fluviatile se remet en place dans la vallée, il le fait généralement de part et d'autre du dépôt au pied de deux versants qui l’ont endigué.



Figure 7. Matériaux de deux coulées boueuses successives dans la vallée de l’Eschbach. On remarquera que dans la couche inférieure les cailloux allongés sont redressés ce qui signifie qu’après la stabilisation de la coulée, ils ont subi l’action du soulèvement par le gel lorsque la coulée suivante l’a enfouie en entraînant des petites langues de matériau sous-jacent (voir au centre de la photo la petite langue gris bleu étirée).

Remarque. Pour déterminer les parts respectives que les différents agents de transport en masse périglaciaires ont prises dans l’accumulation des dépôts actuels, il faudrait disposer d’affleurements et de tranchées pour observer les structures sédimentaires, ce qui n’existe pratiquement pas dans les Hautes Fagnes. En conséquence dans les monographies des pierriers, nous emploierons pour les désigner, le vocable ‘dépôts périglaciaires’ sans précision génétique.

De l’éboulis au glacier rocheux

Dans les vallées descendant du plateau des Hautes Fagnes, il existe, parfois depuis plusieurs centaines de milliers d’années, des parties de versants en pente abrupte (plus de 35°) qui se sont formées lors de l’encaissement de cours d’eau. Les têtes de bancs fracturées de quartzite et de phyllade y affleurent localement, car le sol meuble n’est pas stable sur de telles pentes.

Bien davantage en climat périglaciaire que pendant nos hivers actuels, la gélifraction (voir plus haut) écarte progressivement les blocs les uns des autres, et les pousse dans des positions de plus en plus instables sur la paroi. Ce processus peut conduire progressivement à deux processus distincts.
-.D’une part, une falaise peut s’écrouler massivement, ce qui a pour conséquence de disloquer la masse fracturée, et d’étaler l’ensemble des blocs au pied de la falaise. Dans ce cas, la morphologie du dépôt est souvent chaotique.
-.D’autre part, des blocs peuvent se détacher individuellement, dévaler la paroi sous l’effet de la seule gravité, et s’accumuler progressivement au pied ; cela forme un dépôt d’éboulis. L’inclinaison de la surface d’un tel pierrier est de l’ordre de 35°, qui est la pente d’équilibre naturel de tout éboulis de gravité dans l’air (fig.8, partie gauche).






Figure 8. De l’éboulis de gravité au glacier rocheux (photo A. Pissart). On voit clairement sur cette photo que le glacier rocheux (à droite) est à l’exutoire d’un amphithéâtre qui l’alimente en neige et en eau, bien davantage que l’éboulis de gravité voisin (à gauche), ce qui lui confère une mobilité plus grande.

Lorsque les éléments qui dévalent la pente ont des tailles très différentes, un tri granulométrique s’opère au cours du déplacement ; les plus gros blocs parcourent en général les plus longues distances, car leur inertie est supérieure, et leur taille leur permet de n’être pas piégés dans les vides qui subsistent entre des blocs plus petits. En conséquence de ce processus, la pente peut diminuer progressivement dans la partie aval du talus d’éboulis.

Cette morphologie de talus d’éboulis peut aussi évoluer sous l’effet des cycles de ‘gel-dégel’ affectant l’eau dispersée de façon hétérogène dans la porosité du dépôt, et provoquant ainsi des mouvements millimétriques, mais répétés des blocs, sous l’effet des variations de volume lors des changements de phases ‘eau-glace-eau’ décrites plus haut. Dans les cas où la porosité est largement occupée par de la glace (par exemple par accumulation d’eau de fonte de neige), la plasticité de celle-ci enclenche une lente reptation identique à celle des glaciers d’où le nom de glacier rocheux. De cette façon, un pierrier d’éboulis peut s’étaler selon une pente de plus en plus faible, et adopte une morphologie de rides arquées, car le déplacement est plus lent sur les bords qu’au centre (fig.8, partie droite).

Accumulations de blocs dans les vallées

Les fonds de vallées sont des sites où tous les agents de transport en masse précités ont amené des matériaux en grande quantité pendant les périodes périglaciaires. Ce processus ne se poursuit que dans une mesure nettement moindre sous notre climat actuel, car la végétation est un facteur de stabilisation des sols.

Pendant les périodes périglaciaires, lorsque les matériaux arrivaient dans la zone parcourue par les cours d’eau, ceux-ci pouvaient évacuer au fur et à mesure de la fraction fine (argile, limon, sable, gravillon). C’est pour cette raison qu’il ne reste dans la zone des lits mineurs successifs des cours d’eau que les blocs dont la taille est telle qu’elle dépasse la capacité ordinaire de transport du courant (fig.9). Bien que ces accumulations de blocs soient des pierriers sensu stricto, ils ne sont pas retenus dans les monographies qui suivent.

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Figure 9. Quelques exemples de lits mineurs de cours d’eau des Hautes Fagnes encombrés de blocs.

Déplacement des blocs dans le lit des cours d’eau

Contrairement aux apparences, les blocs, même de très forte taille, continuent à se déplacer très lentement dans le lit des cours d’eau sous l’effet de plusieurs facteurs :
-.la glace hivernale peut les soulever, et ils subissent alors la reptation lente décrite plus haut ;
-.la glace –qui elle flotte sur l’eau- peut se souder à des blocs, et constituer ainsi des radeaux qui aident à leur déplacement lors de la crue de fonte des neiges ;
-.lors des fortes crues, lorsque les blocs sont entièrement immergés, leur poids est diminué d’une valeur équivalente à la pression d’Archimède, et cette perte de poids facilite donc leurs déplacements (exemple : 1 m 3 de quartzite pèse 2,8 tonnes dans l’air, mais seulement 1,8 tonne dans l’eau claire [densité=1], et encore moins dans de l’eau charriant de l’argile, du limon et du sable, car l’eau est d’autant plus dense que sa charge est élevée);
-.lors des crues paroxysmales dans les torrents de montagnes, il est bien connu que dès qu’une rivière mobilise un petit bloc, il acquiert une énergie telle que lorsqu’il en frappe un autre un peu plus gros, il peut mettre ce dernier en mouvement et ainsi de suite.

Des mesures de déplacements actuels de blocs ont été publiées pour la vallée de la Soor (Pissart, in Bastin et al., 1972). Il montre que même des blocs dont la taille est proche du m 3 ont subi des déplacements mineurs en quelques années.

Morphologie des blocs

Lorsque des blocs se détachent des affleurements rocheux, leurs arêtes sont généralement anguleuses. Comme ils sont alors soumis à l’érosion par l’altération physico-chimique (précipitations, variations de température dont le gel-dégel, colonisation par des végétaux et attaque chimique des racines,…), les arêtes s’arrondissent progressivement. Ce processus est accéléré dès le moment où les blocs se trouvent dans le lit d’un cours d’eau, car en cas de crue, la charge en suspension dans l’eau effectue un véritable sablage érosif de tous les éléments immergés.

Terrasses

Les fonds de vallées des cours d’eau des Hautes Fagnes présentent en général un profil transversal en terrasses, à la base duquel coule le cours d’eau (fig.10). Celui-ci peut avoir développé une ébauche de plaine alluviale, c’est-à-dire une surface plane constituée d’alluvions du cours d’eau apportées lors des crues actuelles.

Dans les conditions environnementales périglaciaires, les agents de transport en masse ont apporté dans les fonds de vallées, davantage de matériaux meubles que les cours d’eau ne pouvaient en évacuer, si bien que des accumulations importantes ont pu se faire dans les fonds de vallées (exemple : jusqu’à 13 m d’épaisseur dans la vallée de la Soor [Bastin et al., 1972]).

Lors du réchauffement climatique post glaciaire, l’équilibre s’est inversé et les cours d’eau ont pu s’encaisser aisément en évacuant la matrice des dépôts périglaciaires, et en développant les terrasses par le fait même.

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Figure 10. Profil transversal type d’un fond de vallée des Hautes Fagnes.

L’encaissement des vallées

Dans le volet ‘Géologie générale’ de ce site, les grands mouvements de soulèvement et d’affaissement de l’Ardenne qui ont eu lieu depuis le début de l’Ere Primaire ont été décrits. En conséquence de ces mouvements, l’Ardenne s’est trouvée alternativement dans la mer, puis exondée à plusieurs reprises. Pour la bonne perception de l’encaissement des vallées des Hautes Fagnes, il faut savoir que le soulèvement de l’Ardenne s’est considérablement accéléré, entre 750.000 ans et 400.000 ans avant aujourd’hui (Juvigné et al., 2005). Ce soulèvement a provoqué un encaissement accéléré des cours d’eau, ce qui a provoqué un approfondissement des vallées et donné naissance à des profils longitudinaux particuliers (fig.11).




Figure 11. Profil longitudinal de cours d’eau des Hautes Fagnes affectés par la reprise d’érosion consécutive au soulèvement accéléré de l’Ardenne entre 750.000 et 400.000 ans: l’exemple du bassin de la Warche. Les profils montrent : 1) une pente faible dans la partie supérieure ; 2) une convexité nette qui marque l’endroit atteint par la reprise d’érosion ; 3) une large concavité ; 4) la partie encaissée en faible pente qui a pratiquement terminé son encaissement.


Références

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COLLARD R. et BRONOWSKI V., 1993. Le guide du plateau des Hautes Fagnes. Les éditions de l’octogone, 433 p.

Frankard P., Lejeune I., Lespagnard C. & Taffein C ., 1990. Promenades en Fagne Wallonne, Livret-guide, A.S.B.L. Haute Ardenne, 142 p.

FOURMARIER P., 1923. Les prétendus phénomènes glaciaires de la Baraque Michel. Bulletin, Classe des Sciences, Académie royale belge, 5 e série, s. IX : 217.

FOURMARIER P., 1933-34. Observations au sujet des coulées pierreuses du plateau de la Baraque Michel. Annales de la Société Géologique de Belgique, 57 : B164-B171.

FOURMARIER P., 1945. A propos des coulées pierreuses du plateau de la Baraque Michel. Annales de la Société Géologique de Belgique, LXVIII.

GUILLAUME C., 1924. Contribution à l’étude du modelé du haut plateau ardennais. Annales de la Société Géologique de Belgique, 47 : B120-B129.

Imbrie J., Hays D., Martinson D.G., McIntyre A., Mix A.C., Morley J.J., Pisias N.G., Prell W.L. & Shakleton N.J., 1984. The orbital theory of Pleistocene climate: support from a revised chronology of the marine 18O record. In, Milankovitch and Climate, A. Berger et al., eds, 269-306, Dordrecht.

JUVIGNE E., CORDY J.-M., DEMOULIN A., GEERAERTS R., HUS J. et RENSON V., 2005. Le site archéo-paléontologique de la Belle-Roche (Belgique) dans le cadre de l’évolution géomorphologique de vallée de l’Amblève inférieure. Geologica Belgica, 8/1-2 : 121-133.

PISSART A., 1953. Les coulées pierreuses du plateau des Hautes Fagnes. Annales de la Société Géologique de Belgique, 73 : B203-B219.

PISSART A., 1987. Géomorphologie périglaciaire. Texte des leçons de la Chaire Franqui belge. Laboratoire de Géomorphologie et de Géologie du Quaternaire, Université de Liège, Liège, 135 p.

QUAAS A., 1917. Zur Frage der Venn Vergletscherung. Neues Jahrbuch für Mineralogie, Geologie und Paläontologie, XLI, Beilage Band 1917: 503-564, Stuttgart.

RENIER A., 1934. L’origine artificielle des coulées pierreuses de la Statte. Annales de la Société Scientifique de Bruxelles, série B, Sciences physiques et naturelles, LIV : 324.

STAMM K., 1912. Glazialspuren im Rheinischen Schiefergebirge. Verhandlungen des Naturhistorischen Vereins der preussischen Rheinlande und Westphalens, 1912: 151-214.

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